TEOLOGO GHIOTTONE IN VILLA, LA NOVELLA AMBIENTATA A FRASCATI DI APOLLINAIRE
Preti in bilico tra peccato e santità nelle
novelle scritte da Apollinaire nel 1910 e candidato quello stesso anno, con
pochi voti, al premio Goncourt. Guillaume-Apollinaris è in
realtà lo pseudonimo di Albertus de Kostrowitsky (Roma 1880- Parici 1918). Nato
da un italiano e da una nobildonna polacca, ma di cultura francese, visse la
cultura letteraria e artistica parigina
di quegli anni, fino alla Grande Guerra, cui partecipò valorosamente. Le sue
poesie giovanili si collocano nel quadro dell'ultimo simbolismo. La sua
influenza si avverte in tutti i movimenti svoltisi nella letteratura francese
dal 1905 al 1920 circa. Amico di
Braque, di Picasso e degli altri cubisti, partecipò attivamente al loro
movimento come critico d'arte. L'Eretico è una
raccolta di racconti fantastici.
Le sue pagine, irriverenti e ironiche, si
sviluppano a Roma, nella corte papalina. Protagonista della novella, che
intitola la raccolta, è un sacerdote incorso nella scomunica, Benedetto Orfei. Un
"teologo e gastronomo, devoto e ghiottone", scrive Apolinaire stesso descrivendolo
esiliato in un villa di Frascati. Prete spretato e incompreso, morirà per una
indigestione (adora canditi e frittelle) ma con il corpo coperto di piaghe
conseguenti alle torture che si infligge quale mortificazione.
L'HÉRÉSIARQUE
Le monde anglo-saxon s'intéresse aux questions religieuses. En Amérique
surtout, de nouvelles religions issues du christianisme surgissent chaque année
et recrutent nombre d'adhérents.
Au contraire, les réformateurs et les prophètes laisseraient la Catholicité
fort indifférente. En effet, elle ne se soucie plus du fond de sa religion.
Aussi est-il bien rare que se produisent de ces petites dissensions
théologiques qui amenaient autrefois la fondation d'une hérésie. À la vérité,
il arrive souvent que des prêtres catholiques se séparent de l'Église. Ces
fuites sont dues à la perte de la foi. Beaucoup de ces prêtres s'en vont à
cause de leurs opinions spéciales sur des points de morale ou de discipline (le
mariage des ecclésiastiques, etc.). Les défroqués sont pour la plupart des
incroyants; quelques-uns pourtant créent un petit schisme. Mais il n'y a plus
d'hérésiarque véritable—comme Arius, par exemple. Il peut exister quelque
turlupin solitaire, tandis qu'il semble impossible qu'un éliésaïte surgisse.
Pour ces raisons, le cas de Benedetto Orfei qui, à la fin du XIXe siècle, fonda à Rome
l'hérésie dite des Trois-Vies, est unique, à mon sens.
À partir de 1878, le R. P. Benedetto Orfei fut, à Rome, le représentant
près de l'État de son Ordre expulsé. Le père Benedetto Orfei était théologien
et gastronome, pieux et gourmand. Il était fort bien en cour pontificale, et,
n'eussent été ses actes ultérieurs, il serait aujourd'hui cardinal,
c'est-à-dire papable. Cet homme si bien fait pour devenir un calme pourpré, se
perdit en prétendant fonder une hérésie. À la suite de son excommunication, il
s'était retiré dans une villa de Frascati. Il y pontifiait, ayant pour fidèles
ses domestiques, deux pieuses dames, et quelques enfants campagnards auxquels
il enseignait le rudiment. À son sens, il préparait ainsi une secte glorieuse
destinée à remplacer le catholicisme. Comme tout hérésiarque, il repoussait le
dogme de l'Infaillibité papale, et jurait que Dieu lui avait donné des pouvoirs
de réforme sur son Église. J'imagine que si Benedetto Orfei était devenu pape,
et que l'idée de son hérésie ne lui eût été inspirée qu'à ce moment, il se
serait au contraire servi du dogme de l'Infaillibilité pour obliger les
catholiques à croire en sa doctrine, que nul n'aurait alors niée sans être
hérétique.
Je visitai Benedetto Orfei par une douce après-midi de mai. L'hérésiarque
était assis dans un fauteuil moelleux. Sur sa table s'étalaient des
papiers—probablement des brefs ou encycliques,—Il me reçut fort civilement et
fit servir, pour m'honorer, de vieux flacons de vino santo et certaines
confiseries romaines ou siciliennes: des noix confites dans du miel, une sorte
de pâté fait de pâte de fondant aux trois parfums de rose, de menthe et de
citron, où étaient enfouis des morceaux de fruits confits (écorces d'orange,
cédrats, ananas), de la pâte de coing très douce appelée cotogniata, une
autre pâte nommée cocuzzata, et une sorte de crêpes de pâte de pêche que
l'on nomme persicata. Il exigea que je goûtasse au vino santo et
le dégusta avec moi, non sans donner des marques de satisfaction réelle:
hochements de tête, agitation d'une gorgée de vin dans la bouche avec
mouvements appropriés des lèvres et des joues, léger frottement de la main
gauche sur l'estomac. Je m'aperçus bientôt que ce bon hérésiarque était sourd.
Comme il savait que je venais le visiter afin de prendre des notes destinées à
élaborer dans la suite un essai sur son hérésie, je le laissai parler sans
jamais l'interrompre.
Benedetto Orfei, qui était originaire d'Alessandria, en parlait volontiers
le dialecte. Son discours était émaillé de paroles grasses, presque obscènes,
mais étonnamment expressives. C'est le fait des mystiques d'employer de telles
paroles, le mysticisme touche de près l'érotisme. Malgré l'intérêt que
pourraient avoir certaines expressions pour les philologues, je n'insisterai
pas sur ce côté de l'esprit d'Orfei. Ma science très superficielle des
dialectes italiens ne m'a d'ailleurs pas permis de tout comprendre, et je n'ai
saisi le sens de nombre de mots que grâce à la mimique qui accompagnait les
discours de l'hérésiarque.
Voici comment Benedetto Orfei me raconta ce qu'il nommait sa conversion
illuminatrice:
—Je m'étais occupé tout le jour de l'hypostase. Le soir venu, après avoir
dit ma prière, je me couchai et commençai le rosaire. En même temps je méditais
sur les mystères de la Religion. Je songeais à la bonté du Fils de Dieu, qui,
pour effacer la tache originelle, se fit homme et mourut sur la Croix, supplice
infamant, entre deux larrons. Une phrase qui prit la forme d'un refrain
populaire vint chanter en mon esprit:
«Ils étaient trois hommes Sur le Golgotha, De même qu'au ciel Ils sont en Trinité.»
Ici l'hérésiarque s'arrêta, ému, versa du vin dans nos deux verres, et but,
d'un air triste bientôt dissipé, la contenu du sien, sans négliger les
frottements de main sur la panse, agitations de visage, exclamations sur le
velouté du vieux vin. Il m'obligea à goûter de la cocuzzata et continua
ainsi:
—Le refrain divin chanta dans mon âme jusqu'à l'heure où je m'endormis. Mon
sommeil fut profond, et le matin, à l'heure des songes véridiques, je vis le
ciel ouvert. Parmi les chœurs des hiérarchies d'Assistance, d'Empire et
d'Exécution, et plus hauts que le chœur des Séraphins, qui est le plus élevé,
trois crucifiés s'offrirent à mon adoration. Ébloui de la lumière qui entourait
les crucifiés, je baissai les yeux et vis la troupe sainte des Vierges, des
Veuves, des Confesseurs, des Docteurs, des Martyrs adorant les crucifiés. Mon
Patron, saint Benoît, vint à ma rencontre, suivi d'un ange, d'un lion, d'un
bœuf, tandis qu'un aigle volait au-dessus de lui. Il me dit: «Ami, souviens-toi!»
En même temps, il dressa sa main droite vers les crucifiés. Je remarquai que le
pouce, l'index et le majeur de cette main étaient étendus, tandis que les deux
autres doigts étaient repliés. Au même instant les Chérubins agitèrent leurs
encensoirs, et un parfum, plus suave que celui du plus pur des encens minéens,
se répandit dans l'air. Je vis alors que l'ange escortant mon saint Patron
portait un ciboire d'or, d'un travail admirable. Saint Benoît ouvrit le
ciboire, y prit une hostie, qu'il divisa en trois parties, et je communiai
triplement d'une seule hostie, dont le goût devait être plus exquis que celui
de la manne que savourèrent les Hébreux dans le désert. Une musique ravissante
de luths, de harpes et autres instruments célestes, tenus par des Archanges, se
fit entendre et le chœur des Saints chanta:
Ils étaient trois hommes Sur le Golgotha, De même qu'au ciel Ils sont en Trinité.
«Je m'éveillai. Je compris que ce rêve était un événement grave dans ma vie
et pour les hommes. L'heure à laquelle il s'était produit ne me laissait guère
de doute sur la véracité d'un tel songe. Néanmoins, comme il renversait les
croyances sur lesquelles repose le christianisme, j'hésitai à en faire part au
pape. La nuit suivante, je vis en songe matinal, au milieu de deux femmes, la
Très Sainte Vierge, leur disant: «Vous aussi êtes mères de Dieu, mais les
hommes ne connaissent pas votre maternité!» Et je m'éveillai, tout en nage. Je
n'avais plus aucune hésitation. Je récitai tout haut la doxologie. Je fus dire
la messe à Sainte-Marie-Majeure, puis j'allai au Vatican demander une audience
au Saint-Père qui me l'accorda. Je lui fis le récit de ce qui s'était passé. Le
pape m'écouta en silence et médita un instant après m'avoir entendu. Sa
méditation finie, il me dit sévèrement de cesser toute étude théologique, de ne
plus songer à des choses ridicules et impossibles qu'un démon avait seul
suscitées en moi. Il m'enjoignit de revenir le visiter au bout d'un mois. Je
m'en fus peiné et honteux. Je rentrai dans mon couvent désert et pleurai. Le
refrain sacré: Ils étaient trois hommes, revint chanter en mon âme. Je
le repoussai de toute ma volonté, comme une tentation. Je m'humiliai devant
Dieu.
«Pendant un mois, je suivis un jeûne rigoureux et pratiquai les douze
mortifications recommandées par le contemplatif Harphius au livre II de sa Théologie
mystique. Je me mortifiai surtout selon les cinq dernières: mortification
de toute curiosité de l'entendement, mortification de tout scrupule de cœur,
mortification de toute impatience inquiète de l'âme, mortification de toute
volonté, et pratique de la résignation à supporter, pour l'amour de Dieu, tout
abandon. Au bout du mois, après ces pénitences, la conviction qui m'était venue
si fortuitement s'était renforcée dans mon âme, et je fus retrouver le
Saint-Père qui, très affectueusement, me demanda si j'avais abandonné les
chimères que le démon de l'hérésie m'avait inspirées. Pour lui répondre, il ne
me vint que ces paroles: Ils étaient trois hommes... «Hélas! s'écria le
pape, cet homme est possédé!» Je me mis à genoux alors. Je parlai de mes
mortifications et suppliai le pontife de m'exorciser. Les larmes aux yeux, il
m'affirma que Dieu me saurait gré de cette humiliation volontaire; puis il
m'exorcisa selon les rites. Je partis ensuite, sans insister, car j'étais bien
assuré que mes pensées n'étaient pas d'inspiration diabolique mais divine,
puisqu'aucun exorcisme n'avait prévalu contre elles.»
L'hérésiarque cessa de parler, fit son manège accoutumé, but son vino
santo, médita un moment, les yeux au plafond, et, renversé sur le dossier
de son fauteuil, fit tourner, l'un autour de l'autre, ses pouces rapprochés sur
son ventre. Il reprit ainsi:
—Le lendemain, j'écrivis au pape, lui faisant part de ma conviction et le
priant, puisqu'il était le chef de la religion, de proclamer la vérité que
j'avais apprise si miraculeusement. J'ajoutai qu'il n'y avait pas d'infaillibilité
qui pût rendre mensonger ce qui était vrai, et que, par conséquent, je me
séparerais de l'Église, au cas où il préférerait les anciennes erreurs à
l'évidence nouvelle. Pour réponse, on m'excommunia. Alors, ayant abandonné mon
Ordre, et riche des biens que je lui avais apportés, je vins me réfugier dans
cet asile de paix où, jeté hors du giron de l'Église catholique, je place les
fondements de la nouvelle religion. J'inaugurai la véritable communion triple
en une hostie renfermant les trois corps humains d'un seul Dieu en Trois
Personnes. Car la vérité est celle-ci: la Trinité se fit hommes. Il y eut trois
incarnations. Les Trois Personnes du seul Dieu souffrirent, le même jour, la
Passion nécessaire pour le rachat de l'Humanité. Le larron de droite était Dieu
le père. On le remarque aisément par les paroles de sollicitude qu'il eut sur
la Croix pour son Fils bien-aimé. Sa vie fut triste et patiente. Il souffrit
injustement d'être pris pour un larron qu'il n'était pas. Étant tout puissant
et infiniment majestueux, il ne voulut avoir aucun disciple. Le Christ, qui
mourut entre les Larrons divins, était le Verbe et, l'étant, fut le
Législateur. Ce sont ses paroles et ses actes qui devaient être transmis au
monde pour lui être un enseignement. Il en fut ainsi. Le larron du gauche était
le Saint-Esprit, le Paraclet, l'éternel Amour qui, devenu homme, voulut être
pareil à l'amour humain qui est infâme. Il fut larron réel et souffrit
justement. Voici le mystère en toute sa sainteté: Dieu se fit homme. Dieu le
père incarné souffrit pour exercer sur soi sa toute-puissance et s'humilia
jusqu'à rester inconnu et sans histoire. Dieu le fils incarné souffrit pour
attester la vérité de son enseignement et donner l'exemple du martyre. Il
souffrit injustement mais glorieusement pour frapper l'esprit des hommes. Dieu
le Saint-Esprit voulut souffrir justement. Il s'incarna dans les pires
faiblesses humaines, et s'abandonna à tous les péchés par compassion et amour
profond pour l'Humanité. Voici la
vérité:
Ils étaient trois hommes Sur le Golgotha De même qu'au ciel Ils sont en Trinité.
C'est ainsi que Benedetto Orfei me raconta l'histoire de son hérésie et me
développa sa doctrine. Emporté par son récit, il avait oublié de boire. Aussitôt
son discours terminé, il allongea la main droite, tout en restant renversé dans
son fauteuil, saisit une crêpe de persicata, qu'il roula soigneusement,
et en fit une bouchée. Puis, s'étant versé du vino santo, il le but,
mais maladroitement, car persicata et vino santo dévièrent dans
son gosier. Il avala de travers, et ce fut une explosion par la bouche et le
nez. L'hérésiarque, rouge à éclater, toussa cinq bonnes minutes. Il eut besoin
de se moucher. Comme il n'usait pas de tabac, au lieu d'un énorme mouchoir de
couleur, il sortit un petit mouchoir de batiste blanche, fort peu
ecclésiastique. Cette élégance m'étonna. Il reprit haleine en respirant
bruyamment, non sans m'indiquer du doigt le cotignac pour m'inviter à en
prendre.
Il me confessa ensuite que la religion catholique était pourrie, étant trop
vieille, et que le pape craignait d'y toucher de peur que tout ne s'écroulât.
Il fut même plus expressif, et, employant son dialecte natal, il ajouta:
—L'è cmè ra merda: pï a
s'asmircia, pï ra spissa.
Lorsque je me levai pour prendre congé, l'hérésiarque voulut m'accompagner
jusqu'à la porte.
Au moment où il se leva, sa soutane, sorte de robe monacale de bure noire,
s'ouvrit et je vis qu'en dessous l'hérésiarque était nu. Son corps velu était
sillonné de marques de flagellation. Une ceinture rugueuse, hérissée de
piquants de fer, qui devaient déterminer d'insupportables souffrances,
entourait sa taille. Je vis encore d'autres choses, mais elles sont de telle
nature que je ne peux les décrire. Toute cette nudité, à vrai dire, ne
m'apparut qu'un instant. L'hérésiarque referma aussitôt sa soutane dont il noua
la cordelière, et, souriant, m'invita à passer dans la pièce voisine qui était
la bibliothèque. J'étais stupéfait de voir que cet homme donnait de tels
châtiments à sa chair et satisfaisait en même temps sa sensualité gourmande. Je
méditai sur ces contrastes en passant dans la bibliothèque, où je vis,
convenablement rangés sur des rayons, des livres de toute sorte que l'hérésiarque
m'invita à regarder. Il y avait là, mêlés, des volumes précieux ou vulgaires,
de théologie, de philosophie, de littérature et de sciences. C'étaient des
livres et des manuscrits anciens et modernes sur papier ou parchemin. Je
remarquai les œuvres d'Aristote, de Galien, d'Oribase, la Syphilis de
Fracastor, la Sagesse de Charron, le livre du jésuite Mariana, les contes de
Boccace, de Bandello, du Lasca, Saint Thomas, Vico, Kant, Marcile Ficin, le
diadème des Moines de Smaragdus et d'autres. Je quittai ensuite l'hérésiarque, que je n'ai plus
revu.
À quelque temps de là, j'appris que venait de paraître: l'Évangile
véridique, de Benedetto Orfei, traduit en langue vulgaire, contenant la vie de
Dieu le père, premier des deux évangiles parallèles aux évangiles canoniques.
Je me procurai le livre, qui était fort court. Il ne contenait rien de précis
sur la vie de la première personne de Dieu. On y apprenait que l'on ne savait
rien de la naissance de Dieu le père. De sa vie, on ne savait presque rien,
sinon qu'il fut juste, obscur et sans amis. Son existence était mêlée à celle
de deux autres personnes de la Trinité, et c'est en essayant de détourner Dieu
l'Esprit-Saint d'un crime que celui-ci commettait, qu'il fut pris avec lui et
condamné injustement. Chacune des paroles qu'il échangea au lieu du supplice
avec Jésus et le mauvais larron, faisait l'objet d'un chapitre où elle était
commentée. C'était en effet le seul moment bien connu de sa vie, et encore
l'hérésiarque en avait-il emprunté le récit aux évangiles synoptiques. Après la
mort de Dieu le père, tout redevenait mystérieux. On ne savait plus rien, ni de
sa résurrection et ascension, probables, mais inconnues. L'ouvrage avait été,
paraît-il, écrit en latin, traduit aussitôt en italien et publié. Le manuscrit
latin sur parchemin doit encore exister.
L'année suivante, Benedetto Orfei fit paraître le second évangile parallèle
aux évangiles canoniques ou Évangile du Saint-Esprit. Comme celle de Dieu le
père, sa vie était peu connue. Mais, tandis que du Père éternel on ne
connaissait que sa mort, on savait du Saint-Esprit qu'il viola, un jour, une
vierge endormie. Ce stupre avait été l'opération du Saint-Esprit de laquelle
était né Jésus. On insistait aussi sur les paroles prononcées sur la croix,
puis le mystère se faisait après l'instant où les soldats eurent brisé les
jambes des deux larrons. Ce volume, à la vérité fort beau et d'une grande
élévation de pensée par certains endroits, contenait des passages d'une telle
crudité que les autorités italiennes le firent saisir comme livre obscène;
aussi est-il introuvable.
Les exemplaires du premier évangile, ou Vie de Dieu le père, sont
d'ailleurs fort rares eux-mêmes: soucieuse de les détruire, la cour pontificale
en avait acheté la plus grande partie.
L'hérésie des Trois-Vies ne se répandit pas. Benedetto Orfei mourut au
seuil du siècle. Ses quelques disciples se dispersèrent, et il est probable que
l'enseignement de l'hérésiarque aura été vain, qu'il n'en sortira rien, et que
nul ne songera à le reprendre.
Un prêtre qui avait beaucoup connu Benedetto Orfei, et qui avait souvent
essayé de lui faire abjurer ce que les catholiques appelaient ses erreurs, m'a
raconté la fin de l'hérésiarque. Il mourut, à ce qu'il sembla, des suites d'une
indigestion, mais son corps fut trouvé tout couvert de plaies résultant des
tortures qu'Orfei s'imposait; si bien que les médecins hésitèrent à attribuer
son décès à sa gourmandise ou à ses mortifications. La vérité est que l'hérésiarque
était pareil à tous les hommes, car tous sont à la fois pécheurs et saints,
quand ils ne sont pas criminels et martyrs.
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